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Jean Forbin, le chevalier de la mer

S'il en est un qui est tombé dans la potion magique de la mer tout petit, c'est bien Jean Forbin. Cet enfant du Carénage a voué sa vie aux bateaux et porte aujourd’hui un regard critique sur la relation des Guadeloupéens à la mer. Avec ce sentiment mitigé que la relève dans son noble métier est absente et qu’il reste bien du chemin pour que les enfants des îles deviennent des enfants de la mer.


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Jean Forbin a conçu son premier bateau à 20 ans. Depuis, il n'a pas ménagé sa peine pour développer son activité.

Au carénage, au fin fond de son hangar, entre deux coques de bateaux, Jean Forbin est là, penché sur un moteur. Les vacances, il ne connaît pas vraiment. « J’aime trop mon métier pour m’éloigner du chantier plus de quelques heures et j’ai toujours à faire » souligne Jean Forbin. Il faut dire que sa petite société ne connait pas la crise même après deux années de crise sanitaire. Le calendrier de commandes est plein et, chaque année, il produit en moyenne une quinzaine de bateaux. Ses célèbres 23 pieds sont aujourd’hui près de 90 à sillonner les eaux de Guadeloupe. Quant à son premier modèle, un modeste 4 mètres, il en existe plus de 200 sur l’île ! « Ce premier bateau, je l’ai conçu à 20 ans. A l’époque, je faisais mon service militaire le matin et l’après-midi, j’étais dans l’atelier de mon père, les mains dans la résine et, des heures durant, je travaillais à ce premier modèle, à ma première création ».


Une dynastie de marins

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Le chantier de Jean Forbin est installé dans le quartier de carénage, à Pointe à Pitre.

On ne peut présenter Jean Forbin sans évoquer la dynastie dont il est issu. Trois générations de charpentiers de marine qui ont su perpétuer les traditions, transmettre l’art du travail bien fait et la passion de la mer. Ses deux grands-pères, déjà, construisaient des bateaux. Son père, naturellement, a pris la relève dans les années cinquante. Une époque où le quartier de Carénage, comme son nom l’indique, était la zone où l’on carénait les bateaux. Jean évoque avec nostalgie ces temps anciens où plus de 50 artisans vivaient autour de la construction navale. « Il y avait ici des charpentiers de marine, des calfats, des préparateurs du bois, des scieurs de long. Cinquante familles vivaient à Carénage pour et par les bateaux ». Et dans ces années-là, tout était fait à la main. Les bois, judicieusement choisis par des hommes d’expérience qui prélevaient les meilleurs catalpas bord de mer et poiriers-pays pour fabriquer les membrures des embarcations. Des gommiers pour les planches des bordées. Et parfois des sapotilliers aussi. « Le bois du sapotillier est tellement dur que placé dans l’eau, il coule » souligne avec un regard malicieux Jean Forbin. « Mais les anciens l’utilisaient peu car il impliquait de couper des arbres fruitiers à une époque où la nourriture n’était pas très abondante sur l’île ». Ces années-là étaient, aussi, celles où chaque patron formait un apprenti pour transmettre son savoir-faire. « Une transmission purement orale qui permettait à chacun d’entre eux de conserver secrets ses plans et modèles ».


« Pour travailler la résine, j’ai dû m’imposer »

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Après une enfance sur les chantiers de Carénage, Jean trouve sa voie naturellement dans ce monde qui l’a vu grandir. Il travaille avec son père, fabrique des canots en bois, mais suit de près l’évolution du métier qui commence à se faire jour. « Certains ateliers ont commencé à utiliser la résine et je m’y suis intéressé. Mais mon père était contre. Pour lui, fabriquer un bateau en résine n’était pas un vrai métier et cela n’avait aucun avenir. Pour aller dans cette voie, j’ai dû créer mon propre atelier, tout comme mon frère qui s’est spécialisé dans l’antifouling, la résine et le remorquage des bateaux échoués ». Là encore, des activités sans lettres de noblesse pour le père Forbin.

Mais la vie a donné raison aux deux frères qui, en prenant le virage de la construction en résine, ont su s’adapter à la demande et développé leurs activités. Pour couronner le tout, Jean Forbin a reçu en 2019 la distinction de l’ordre du mérite maritime, ce qui fait de lui un des rares Chevaliers de la mer de Guadeloupe.


Être rapide sur l’eau, une priorité

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Jean Forbin n'hésite jamais à aller faire un petit tour en canot traditionnel.

Les premiers moteurs de bateaux sont apparus en Guadeloupe en 1952. Autant dire qu’avant, la pêche était réservée à des hommes aguerris, fins connaisseurs de la mer et de la météo. « Il faut imaginer ces hommes partant à la voile au petit matin afin de rejoindre Petite Terre où ils passaient la nuit pour aller pêcher encore plus loin le lendemain. Après une matinée à pêcher, ils revenaient dans l’après-midi pour vendre au plus vite leur prise sur les quais de Pointe à Pitre » se rappelle Jean, le regard perdu vers le large. Et à ce petit jeu-là, parfois dangereux à une époque où les prévisions météorologiques n’existaient pas, le premier arrivé à terre était celui qui vendait le plus de poissons. « Être rapide sur l’eau était une priorité pour la pêche et cela a entrainé une émulation entre les constructeurs de bateaux » évoque Jean. Chacun cherchait alors à améliorer ses carènes, à tester de nouveaux procédés. Et pour comparer la rapidité des bateaux, les pêcheurs se donnaient rendez-vous le dimanche dans la rade de Pointe à Pitre pour des régates informelles … De là au tour de voile traditionnelle, il n’y avait qu’un pas…


De la pêche à la régate

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La tour de voile traditionnelle de la Guadeloupe est aujourd'hui un événement très populaire.

« Les canots de pêche étaient alors très stables et ventrus, ce qui leur permettaient de charger quantité de poissons. Forcément, ils n’étaient pas profilés pour la régate » se souvient Jean. En 1987, Félix, son père, s’attèle à la construction de cinq canots dédiés à la course. Trois resteront dans la famille et deux seront rachetés par la ville de Petit Bourg. L’année suivante, ces cinq bateaux s’affrontent dans une course et deux ans après, ce ne sont pas moins de 15 canots qui s’engagent sur la ligne de départ. « En 1994, ces régates s’essoufflaient un peu et mon frère Patrick a alors créé un championnat de voile traditionnelle qui est devenu, en 2000, le Tour de la Guadeloupe » rappelle le patron des chantiers Forboat. Les évolutions des carènes sont alors très rapides, les constructeurs se penchant sur des modèles plus fins, plus légers pour évoluer vers les canots que nous connaissons aujourd’hui. Des canots qui, désormais, naviguent à 6 ou 7 nœuds contre 3 à 4 à l’origine.


« Qui prendra ma relève ? »

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Jean Forbin regrette que les jeunes ne soient pas plus tournés vers la mer.

Aujourd’hui, Jean Forbin aspire à prendre une retraite bien méritée sans pour autant s’éloigner de son bateau et de la mer, cela va sans dire. Mais comment arrêter quand la relève n’est pas là ? « Dans les années fastes, la Guadeloupe comptait jusqu’à 11 fabricants de bateaux en résine. Mais 2009 est passé par là et les sociétés ont fermé les unes derrière les autres. La relève formée s’est tournée vers d’autres métiers et, aujourd’hui, les recrutements sont difficiles » regrette Jean Forbin. Par ailleurs, les formations proposées sur l’archipel guadeloupéen ne sont pas en adéquation avec les besoins des entreprises. « Les apprentis qui sortent du Lycée de Gourbeyre ou de Marie-Galante, ne sont pas formés au travail de la résine. Et quand ils arrivent chez nous, il faut tout leur apprendre ». Pour Jean Forbin, l’autre difficulté est l’absence d’ouverture des jeunes sur la mer d’une manière générale. Selon lui, peu savent nager et ils sont encore moins nombreux à se projeter dans des métiers marins. Pourtant, sur un territoire insulaire entouré d’eau, les secteurs d’activité sont nombreux et peinent à recruter localement. « Moniteurs de voile, de planche à voile, de kite surf, de plongée sous-marine, pilote de bateau, guide touristique embarqué, biologiste marin sont autant de voies pour nos jeunes. Le plus souvent, ils l’ignorent. A l’école, on ne leur parle que de mécanique bateau et de pêche » s’insurge cet homme de la mer. Alors, pourquoi ce grand recul par rapport aux années où la mer attirait de nombreux regards ? « Quand j’étais enfant, avec mes sept frères et sœurs, nous étions tous inscrits à la base de voile de Pointe à Pitre. A l’époque, cela ne coûtait presque rien et de nombreux jeunes passaient leurs week-ends sur l’eau. Cela a produit des Victor Jean-Noël, des Carl Chipotel et tant d’autres ! Aujourd’hui, pour se mettre à l’Optimist, les parents doivent acheter un bateau et une remorque. Comment voulez-vous que ça fonctionne ? » questionne cet enfant du Carénage.

Heureusement, la mer refait peu à peu surface au niveau des autorités avec le plan de développement de l’économie bleue ou l’apparition de structures telles que le Cluster Maritime. Et la mer pourrait bien reprendre sa place dans les années à venir.



50 ans au service de la mer

A l’âge où les enfants apprennent tout juste à marcher, Jean découvre la voile avec son père Félix. Inscrit très jeune à la base nautique de Pointe à Pitre, il s’initie à la voile et remporte très vite ses premières régates. A 19 ans, il construit son premier moule de bateau et crée sa société, Forboat, en 1992.

Vainqueur de 5 championnats de voile traditionnelle, il s’octroie également deux titres sur le TGVT en 2009 et 2012. En 2019, il reçoit l’Ordre du Mérite Maritime décerné par le Ministère de la Mer.



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